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Ersatz de la Beauté

24 janvier 2013

"Tu renonces, Raven? Raven, Où est ta Foi? ... Tu

"Tu renonces, Raven?

Raven, Où est ta Foi?

...  Tu abandonnes?

Tu as quitté l'irrationnel, Raven, tu n'affrontes plus rien, ni le rationnel, ni le raisonnable, ni tes propores limites.

Tu perds Espoir.

Raven...

Ton souffre se brise.

Tu as arrêté de nager. Tu tombes?

Les valeurs nivellent vers le bas, rien ne se réédifie. Le courage s'essoufle. La vie faiblit. L'obsurité est à demi-ouverte, doublée du néant. Tu gravites autour du vide. Raven...

As-tu appris à mourir?

Elle respire tes craintes et tes angoisses, fais exister le pessimisme.

...

Certaines lachetés faites à la vie sont irréversibles...

Alors Raven, accroché à ta profondeur, fuis les abysses, fuis tes démons...

Accroché à ta solitude... Vole... Frôle le transcendant..."


Les voix se turent.
Soudain, un nouveau souffle percuta mes poumons; je recommençais à bouger mes bras machinalement. En fait, voilà déjà un long moment que je nage, et bien que je sentais que la sortie était toute proche, j'étais prêt à abandonner. Mais maintenant je la vois, je vois la lumière s'entrechoquer dans un croisement indescriptible. Comme une onde circulaire personnifiant l'innéfable. On aurait dit que la source du monde se trouvait ici. Comme si l'espace-temps se brisait à cet endroit précis, et faisait converger notre monde avec celui-ci. La lumière partait des deux côtés.
Alors je suffoquais, de surprise et d'essouflement, je me rendais compte que je n'étais qu'infiniment rien face à l'immensité de ce spectacle peu rationnel. Mais je m'éloignais. Et alors je la vis. L'autre face du lac.
Ma tête sortit de l'eau. J'étais en vie.

Esatz, lui, arriva jusqu'ici sans encombre avec son hérisson. Nous nous sommes allongés sur le rivage, riant fortement, heureux d'avoir outrepassés les dangeureuses étreintes du Lac. Nos voix résonnaient aux frontières de ce nouveau monde, comme deux flammeroles dans l'errance dans l'inconnu.

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15 octobre 2012

En tout cas, je ne cherchais pas à respirer. Mon

En tout cas, je ne cherchais pas à respirer. Mon souffle s'était de toute façon égaré en essayant de me suivre dans ma course, mon calme aussi. Je me relevais et continuais à courir jusqu'à tomber sur une petite porte enfumée qui s'entrouvrait sur une possible liberté. La lumière m'éblouissait, je me disais que j'étais sauvé.
Je ne pensais déjà plus aux contrefaçons de la nature qui avaient entrepris de nous chasser. Je comprenais mieux le désir d'Ersatz lorsqu'il me disait qu'il était heureux. Peut-être que la sensation, aussi momentanée soit-elle, d'être libre nous amène à vouloir crier, expier cette joie qui s'immisce graduellement dans notre soulagement, soulagé que nos aspirations correspondent avec la réalité.
Je ne sais pas pourquoi à ce moment, alors que le danger était encore dans notre dos, je me sentais en sécurité. Ersatz devait d'ailleurs penser la même chose. Son corps avait plongé contre la colline. Affalé sur l'herbe, il respirait comme après avoir été noyé dans sa peur. Je m'asseyais près de lui en riant. Ou bien je riais sans raison, ou bien je riais de notre fuite digne des plus grands poltrons.

Après n'avoir réussi qu'à m'étouffer un peu plus, Ersatz me dit ceci :

-Tu vois Raven, l'ivresse que procure la fuite? C'est la première fois que je te vois rire. Comme quoi, tous les chemins mènent au rhum. D'ailleurs, tu te souviens de cet endroit transcendant la réalité? Nous y sommes. C'est juste derrière la colline.

Je me levais. En regardant les alentours je me rendais compte que nous n'étions qu'à 1000 mètres environ de la frontière des gardes. Nous étions surement revenus sur nos pas lors de notre descente enflammée aux souterrains. Les arbres étaient denses comme avant, mais semblaient dégager plus que leur habituelle impassibilité invariable. J'avais l'impression d'être entouré, protégé, comme si un parfum maternel flottait dans l'air.
Des oiseaux survolaient la colline, les ailes bleues, le chemin certain, tandis que les stridulations annonçaient qu'un inconnu, moi, allait pénétrer les lieux. J'écrasais les fleurs, absorbé par ma route. En transe, j'entrais dans le mystique de ce nouveau monde alors que l'imprévisible exhalait mes sens. Je marchais sur l'insouciance, je venais de trouver ce qui prend toute la place dans la recherche de l'existence.
Par delà la colline se trouvait un lac transpercé par des rayons de lumière. Ou plutôt, le lac transperçait la lumière. A vrai dire, je ne sais lequel des deux était une anomalie du raisonnable. Des cordes lumineuses s'évaporaient dans les nuages. Je le vais la tête afin d'y voir ses ultimes oscillations, mais elles défiaient l'invisible. Une étoile se trouvait de l'autre coté, et conversait avec notre soleil. Ce n'était pas possible autrement.
Tout autour de moi disparaissait de ma vision, plus rien n'avait d'importance, hormis le lac. Il m'appelait. Il me tirait vers ses entrailles.

Je m'approchais et trébuchais sur un objet métallique. Une sorte d'épée. J'étais abasourdi, alors je ne fis pas réellement attention à Ersatz qui se jeta dans le lac complétement affolé et apeuré. Je n'avais même pas conscience de me pencher pour ramasser l'épée, elle était si belle... Le pommeau de maille semblait s'accoupler avec la garde grise, épaisse de trois traits où se divisaient en son milieu gemmes et filigranes. La lame était énorme. M'arrivant au niveau du bassin alors que je me relevais, je pouvais voir que les 20 derniers centimètre étaient plus gros encore que la lame, l'entourant presque. Deux bordures d'un gris plus clair la longeaient jusqu'au chappe bleu. Je me retournais, mû par je ne sais quel réflexe mémorial, poussé par une cause plus ancestrale qi ne provenait surement pas de mon propre corps.
La lame vint transpercer une bête qui se jetait sur moi la gueule ouverte. Son sang jallit de la plaie, et ressortit par ses yeux, coulant jusque sur mes mains. Sa fourrure cachait sa corpulence fine de prédateur, les muscles serrés. Elle était haute de trois têtes, et semblait pourtant capable de m'arracher un bras. C'est ce que je me disais en voyant ses crocs sortir de sa machoire béante, blanchis par l'expérience du chasseur. Son expression n'avait rien de vivant. Un souffle s'effaça dans l'air, traversa la promiscuitié de nos gueules. Fétide. Nuances morbides. J'eus un soubresaut intuitif, une envie de déglutir. Je me disais aussi que je finirais ma vie en apéritif pour un troupeau affamé si je ne fuyais pas rapidement. D'un coup, je sautais dans le lac.

10 octobre 2012

Je descendis la pente et me mis à marcher. Un

Je descendis la pente et me mis à marcher. Un chaméléon flânait sur les bouts de boimitoyens ternis par l'ombre du chalêt. Je me sentais seul, ayant perdu les bagages de ma conscience, néantisés par je ne sais quelle force mystique. Je sais que quand je me mets à admirer quelqu'un, je perds son intérêt, le trouble enlaçant ma propre confiance et me privant de ma contenance.
La porte du chalêt me faisait barrage. Je me souvenais alors d'un vieil adage : "Tu vois cette porte où est affichée l'étiquette "Impossible"? Pousse la porte, et tu verras l'inscription s'effacer au fur et à mesure que le chemin s'ouvre".
Je plaçais ma main sur la poignée. Mes doigts crochetaient l'ouverture, pendant que le fait d'agir effaçait les chaines de ma propre tutelle. Je devenais quelqu'un d'autre, alors que la poignée cédait sous l'influence de mes doigts. Je me disais que la liberté n'était qu'un éternel échange de rapports de force, soumis au hasard de l'être en puissance. Et pourtant, je sentais mon caractère se modeler, à mesure que la poignée vacillait, laissant ma curiosité inhiber mes croyances instables.
La porte émit un craquement sourd, faisant s'échapper des fréquences graves qui percutèrent le sceptre jusqu'alors uniquement parcouru des sifflements du vent.

Un autre craquement se fit entendre, derrière moi cette fois. Je me retournais, et vit Ersatz courir comme un lion. 10 mètre nous séparaient lorsqu'il cria ceci :

 -Ouvre cette porte ! Vite !

 Derrière lui dévalait une troupe de quadripèdes. Il me suffit de voir leurs crocs briller sur leur fourrure noire pour faire volte face et défoncer la porte par un grand coup d'épaule. Nous nous précipitâmes dans une pièce peu accueillante où la lumière qui sortait des fenêtres éclairait un chandelier morne au plafond.
Par je ne sais quel stratagème, des flux de poussières traversaient la salle comme s'ils se répercutaient, et formaient un réseau qui semblait montrer le sol. Une dalle surplombait le parquet froid, et cachait sous la poussière une trappe que nous ouvrîmes.Les bêtes étaient entrées dans le hall. Nous nous jetâmes alors à corps perdu dans la brèche étroite qui nous emmena dans des souterrains plus lugubres encore. Les murs portaient sur leur surface des torches incandescentes d'où s'élevaient des escarbilles argentées.

Nous courions jusqu'à en oublier les lois de la physique.

Au bout du sempiternel couloir, sur un mur circulaire, étaient enfoncées des marches en fer. Derrière nous résonnait l'écho des assaillants qui se réflechissait sur les parois telluriques. J'aggripais la première marche. J'eus l'impression que mes pieds maladroits ne voulaient pas suivre la vitesse à laquelle j'imaginais remonter.
Ersatz était monté avant moi. Lorsqu'il atteint l'ouverture béante, propulsé par la force de ses bras, il cria ceci :

-Je vole Raven ! Je vole comme...

-Bordel de merde ! On a pas le temps; pousse toi !

Je me soulevais grâce aux rebords, et atterris au milieu d'une pièce de pareille dimension que la précédente, quoique bien moins modeste.
Nous poussâmes un meuble fragile sur le trou, et nous nous écroulions sur lesusdit parquet qui était au moins aussi froid. Ici, la lumière était bien plus puissante. Chaque morceau d'espace scintillait, les vitres semblaient se briser sous le poid de l'éclat.

Deux minutes plus tard, nous nous relevions, cherchant une porte pour sortir.

8 octobre 2012

Nous repartîmes donc, alors que le soleil se

Nous repartîmes donc, alors que le soleil se levait, au delà de ce que j'avais toujours connu. Nous franchissions cet endroit où nous avions laissé les débris du feu de camp, et mon courage, et déjà je ressentais la peur de l'inconnu. Nous marchions donc pendant quelques temps, alors que je longeais l'épaisseur des arbres où se trouvait à leur pied de la terre dure.
Je préférais cela, car je craignais de marcher dans les hautes herbes, je les évitais comme j'ai toujours évité ce qui cache du mystère dans ses profondeurs. Le vent soufflait faiblement et je ne pouvais distinguer à travers le remous des herbes si elles étaient juste secouées ou bien si Ersatz s'était décidé à ramper pour "ne faire qu'un avec le sol", car il aimait à s'éclipser.
Le soleil brillait, m'éclairant par intermittence lorsque je dépassais l'ombre des arbres. Petit à petit, l'herbe s'amenuisait, laissant place à une plaine aux églantines où la densité de la flore avait disparu. Je croyais être seul à admirer cet endroit d'une dimension parallèle, avant de voir mon jeune compagnon allongé quelques mètres plus loin, le dos contre une pente. M'approchant, je lui criais ceci :

-On y arrive l'Esthète !

Au loin se trouvait un chalet entouré de rondelets de bois et de tissus : des humains vivaient ici. Cette certitude immédiate me remplit d'espoir, et je commençais à retrouver mon impétuosité à laquelle s'était succédée quelques heures plus tôt la nonchalance feinte de la crainte.
Ersatz me répondit :

-On est déjà arrivé, non? On croirait qu'un géant a laissé son empreinte en marchant sur une parcelle de la forêt il y a de cela des milliers d'années, et que jamais ne repoussera quoi que ce soit de grand à cet endroit.
-Ouais.
L'atmosphère s'imprégna de ce silence si proche de la gêne. Je repris :
-J'ai jamais vu de géant.
-Moi oui ! Un géant qui guidait des moutons.
-Tu confonds.
Silence.
-Pourquoi t'es parti l'Esthète?
-De la forêt? Je rampais près des herbes avec mon hérisson et je...
-Non. Pourquoi t'es parti de chez toi? Pourquoi t'as voulu me suivre?
-Je n'ai pas de chez moi, j'ai été exclu des autres formes de vie. Quand je t'ai vu agir sans but, sans aller vers, avec ce mouvement si immobile qui te possède sans arrêt, j'ai su que je t'aimais.

Je me taisais. Je ne comprenais pas ce qu'il voulait dire par aimer. Je n'ai jamais aimé.
Mais merde ! C'est pas parce qu'il ressemble à une femme et qu'il s'exprime joliment que je dois l'apprécier ! C'est pas le moment de rompre avec ma solitude. J'ai des idées incongrues. Je me surprends vraiment parfois. Bordel.
Quoiqu'il en soit, j'étais maintenant loin d'Es'Ost et je me sentais respirer à nouveau. C'était comme si derrière moi les plaintes des illusions chaviraient sur l'autel de mon ancienne vie. J'avançais avec la lucidité de celui qui vit. Rien d'autre n'avait d'importance.
Ersatz reprit :

-J'habite dans la forêt. Puisque je n'ai plus le droit d'approcher les humains, je dois rester à l'extérieur, dans l'oubli.
Je sursautais.
-Tu vis à l'extérieur d'Es'Ost? Comment?
-Es'Ost? Je viens de LokiLand, bien ailleurs de cette prison où nulle âme n'est libre.
-Alors il y a bien d'autres humains dehors... Comment connais-tu Es'Ost?
-Je passe devant quelques fois. Par des histoires aussi.
-Quel genre d'histoire?
-Des chansons que j'entendais encore enfant : "Es'Ost, enfan de Satan, dans tes intestins loin du divin repose la chose morose, la corruption des innocents et bons. Le nouveau né ira affronter le purgateur, notre grand créateur, et, d'un coup d'épée détruira l'humanité Monde et féconde." C'est tiré d'une prophétie.
-On dirait un mauvais conte pour enfant. Mais tu as raison, cette ville est une prison, pour les corps et les âmes. On nous a toujours dit que nous étions les seuls rescapés de la Catastrophe. Enfin, ça m'étonne pas que tout ça n'était qu'un mensonge...
Il baillait.
-Ce chalet, tu sais qui y vit?
-Non.
-Allons voir.
-Non, je reste. La chaleur m'enivre, et sentir ma gorge s'humecter sur sa propre aridité me remplit d'une joie tranquille et intense.
-Bon. J'y vais.

1 septembre 2012

Yomi

Chapitre 1 :

"Je ne suis personne" disait-il après avoir vu au delà.

Ersatz gravit la colline nocturne, suspendu au dessous de la myriade d'étoiles enflammées. Le romanesque de la scène ne l'avait pas préparé à cette vision indicible. Cette vue mirifique où se reflétaient les beautés insatiables de la nature. Ce paysage fantaisiste aux ordres du hasard. Cette magie obscure de la portraitisation surnaturelle. États paroxystiques en son cœur, envoyé des Sylphes, mêlés par concrétisation successive de la surprise.
Ses croyances reconstruites, explosaient. Il avait vu. Ses rêves épurés se désagrégeaient. Il l'avait vu. Voilà trois heures qu'il marchait. Ou quatre. Ou vingt. Il s'était perdu dans des dédales mystérieux et insondables, avant de s'engouffrer dans la lumière chétive qui sortait d'une petite porte enfumée. Éclairé comme un érudit qui cherche la vérité dans sa caverne, il se retourna vers son Sauveur, vers l'innombrable.
De là, il voyait. Il voyait l'exotisme, la fraicheur, et la suavité. Il se souvenait de cette solitude de la cave à vins énigmatique. Loin du temps, loin de la raison, il fixait l'indescriptible. Il avait vu la fin de tout voyage. Il avait vu un sens à la vie. Il avait vu l'amour, le désir qui prend et rempli chaque place de chaque parcelle de l'existence.

Il avait vu le Beau.


Il m'arrive très fréquemment de fixer le ciel et de me rendre compte que je ne suis qu'infiniment petit. Je pense qu'il y a des choses que nous ne comprenons pas, quand bien même nous multiplierions nos efforts, en vain. Je ne sais pas. Par exemple, j'ai été traité différemment, exclu des autres formes de vie, et même la terre me regarde indifféremment. Pourquoi? Qui m'a créé pour servir les vengeances personnelles de chacun? Qui a voulu que je naisse dans un monde dont le sens m'échappe totalement?
"Personne ne viendra à toi si tu ne fais rien, alors renonce à te faire accompagner." est devenu mon credo.
Je me dois de me surmonter, moi, mes troubles, et les vérités ombragées, car j'ai conscience d'avoir un destin singulier.
Et voici comment je me suis convaincu de brûler mes liens affectifs, et ai réduit en cendre le peu de relation que j'avais. Voilà comment j'ai abandonné tous les accidents du hasard, ces choses qui vous arrivent et vous possèdent jusqu'à en atteindre le flux de votre vie, voilà comment...

"Raven !"
Et voilà que oui, déjà, le destin me rappelle à lui.
"Raven !!!"
Il courrait comme s'il fuyait les enfers. Sa voix se fit plus clair.
"Raven...
S'exclama-t-il en triolet, le souffle esseulé.
-J'ai gravi la colline. C'était splendide, magnifique, mirifique, étincelant, transcendant...
-Calme toi sur les mots, tu t'épuises.
-J'ai vu... J'ai vu un trésor incroyable par delà la ramure languissante des saules pleureurs. Je louvoyais tranquillement quand les douces lames du soleil divin m'attirèrent en son cœur larmoyant...
-Esthète, tu délires.
-Ersatz, je m'appelle Ersatz.
-Certes..
-Vas-tu me suivre?
-Non.
-Mais Raven...
-Non.
-Alors tant pis...
-Tant pis. Écoute, j'aime beaucoup ta naïveté, mais tes délires subjectifs de poète hypersensible m'insupporte. Fais moi plaisir, prends une pinte, bois, et tais toi, t'as la couleur d'un diable ivre."

Je m'appelle Raven, mais qu'importe. Je viens de Es'ost, la contrée, ou devrais-je dire la frontière, entre l'Interdit et la civilisation. Copie conforme du Juche importée par les négociateurs d'un extrême orient lointain, cette ville a resurgi des ruines d'une ancienne cité populaire : Paris. Depuis, ma Grande Famille eut la vertu de m'instruire la vertu suprême du nationalisme, en vue de prendre la succession de Père dans la reconstruction politique et sociale de la ville. Heureusement, ce qui est suprême pour moi, c'est l'existence libre.
Nous sommes en 3000 après J.C., c'est à dire environ 100 ans après la Catastrophe. Selon les historiens, la Catastrophe aurait été provoquée par un conflit entre deux grandes puissances mondiales. D'ailleurs, les états ont, depuis, perdu toute possibilité de communiquer entre eux, et ont donc probablement préféré s'enfermer dans une sorte d'illusion du patriotisme. A vrai dire, la réalité ne doit sûrement pas se trouver dans les livres, mais cela n'est pas si important.
Je me suis enfui du 7ème régiment. Engagement par défaut dans ce qui semblait être un exutoire de l'absurde. Au final c'était surtout une invitation à l'aliénation et la manipulation. Les gens ont peur et se protègent, c'est ainsi qu'ils se justifient de leur violence. J'ai connu la dure autorité du fonctionnaire qui subit lui même une autorité, qui elle même subit l'autorité d'un non-sens. Cette situation m'amusait un certain temps, puis m'a donné l'envie inébranlable de fuir.
Il n'existe plus aucune confiance, l'amour et la candeur ont été remplacés par la douleur et la haine. C'est à dire que je n'ai même pas conscience de ce qu'est une famille. Ma Grande Famille m'a jeté dans les bras avares de la MiddleGarde (la force de défense de la contrée) avant que j'apprenne à refuser. Bref, tous se sont tournés vers un confort consumériste extrême prônant la liberté par l'égalité.
Je m'appelle originellement : 84ème natif d'Es'Ost. Je suis né en 2982 et j'ai passé mon sacre de garde frontière le jour de mes 16 ans. Las de servir une autorité qui aujourd'hui est un non-sens, j'ai décidé de fuir les chimères du bas-monde. Et j'ai réussi, j'ai fui la ville.

 "Raven?
Il me dérangeait encore quand je pensais.
-Je suis heureux. J'ai la réelle sensation d'être libre. J'ai le coeur plein de joie, mais pas de cette joie temporaire qui remplit le vide avec du vide, non, mais d'un sentiment qui a l'air éternel et supporte même l'éphémérité du néant !
-Tu redivagues, Esthète.
-Mais Raven, je suis heureux ! Je voudrais crier ma joie par delà les falaises, m'élancer par delà les cimes et les nébuleuses !
-...
- Je t'aime Raven !
-Idiot. Tu ne m'aimes pas. Tu aimes ton idiotie à tel point que, oui, tu crois m'aimer. Et cesse de m'apostropher à chaque fois.
-Tu mens, vilain ! Mais qu'importe, jamais tu ne briseras ma joie infinie, qui dépose dans l'air ses pétales d'amour malgré la haine viscérale du chasseur des rêves légers allergique à la beauté de ma voix digne d'une sérénade de..
-T'es con. Et abscons."

 

 Nous continuions de discuter quelques temps, puis nous nous allongions dans la nuit, au fur et à mesure que la lumière du jour s'émoussait. Le feu de camp crépitait de ses braises chaudes, et envoyait dans l'air des formes opaques de fumée, obscures et sombres, aussi incertaines que le chemin que nous voulions arpenter. Es'Ost était loin derrière nous. On lisait dans des opuscules dédiés à l'éloge du village que c'était un havre de paix où la tranquillité et la fraternité unissaient avec de solides liens ses habitants. En effet, ils étaient liés, mais pas pour les mêmes causes. On aurait plutôt dit une reconstruction hâtive faite de haine où la méchanceté et le patriotisme mêlaient à l'unisson ces solipsistes du rien.
Les hommes avaient été avalés par l'Imprévisible, ils n'ont pas eu la force de faire tenir la table des lois et des valeurs (ou bien était-ce par manque de sincérité?) face à la Catastrophe. A la base, un simple sifflement du vent suffit à les affoler (: de ridicules prophéties annonçant la fin du monde). Dès que le son parvint à leurs oreilles, ils montèrent tous empaquetés sur cette même table bancale, et le vent souffla, et chacun s'écroula, emporté par les millions d'autres cadavres dégoulinants, glissants comme sur un monticule de déchets.
Voilà ce qui s'est passé selon moi, les surprises de la nature se virent oubliées et n'ont laissé aucune chance aux humains, seulement protégés par la couverture de l'ignorance. Les hommes n'ont pas fait attention à la terre. Nous avons piétinés la vie. La terre nous a vus marcher sur ses lèvres. Sans hésitation, nous nous sommes fait rejeter tels de vulgaires bouts de viande coincés entre un mouvement bref de mastication hésitante et un geste de la langue qui voudrait brusquement recracher ses habitants irrespectueux et de mauvais goût.
Je suis donc né à Es'Ost. Mon premier souvenir de cette ville remonte à mes 12 ans je crois. La peur, ou plutôt l'angoisse. Une vague réminiscence, mais quelque chose de suffisamment marquant pour briser un sourire. Voici : Je traversais les allées de la ville allant chercher une lettre pour Père, quand d'un coup les portes de la ville firent un bruit d'ouragan, celui de l'éclair qui tire dans le ciel par rafales. On eut l'impression qu'un colosse implacable tentait d'arracher aux portes leur solidité légendaire.
Frappée par une avalanche de coups, la porte tomba, et je vis les gardes baignant dans leur sang sur les côtés, gisant comme de sales chevreuils qu'on aurait éventrés. Au milieu se trouvait une créature furieuse, hurlante mais immobile. J'eus l'impression qu'elle me fixait avec tout son corps sanglant et sans ombre. C'était le résultat d'un accouplement entre un sanglier de deux mètres de haut et d'un reptile où des lames de fer avaient poussé à la place des ailes. Je la fixais aussi, sans bouger, sentant le doux poison de la peur glisser tranquillement dans chaque parcelle de mes membres. Je sentais mes jambes perdre leur force au profit d'une superstition ridicule qui se présentait sous mes yeux comme quelque chose d'insurmontable. Je me trouvais faible et incapable. La bête fonça droit sur moi.
A ce moment là, la peur, la véritable peur, celle qui vous ronge jusqu'à faire de votre corps un tambour battant incessant où chaque pulsion donne des spasmes à votre âme, dévora mon cœur avant que la créature n'en fasse son dîner. Je ne sentais rien en moi. Comme remplis de vide, mon esprit néantisé fut remplacé par des marécages boueux où mon corps se noyait tranquillement. Je ne sais par quel réflexe je sautais sur ma droite, et vis le haut de ma tête se faire percuter par la patte hâtive de la bête. Je me réveillais le lendemain, en en ayant perdu le souvenir durant trois ans. Ainsi que le souvenir de qui j'étais.

Cela me fait rire. Aujourd'hui je me dis que je savais bien que cette ville voulait juste nous garder dans ses intestins. Alors lorsque quelques années plus tard, après avoir passé mon sacre de garde, je déambulais en tant que sentinelle près des portes en fer avec un autre soldat, je l'assommais avec un large bâton à caractère de gourdin. J'étais seul pour la nuit, du moins c'est ce que je pensais. En fuyant vers la forêt, un homme chétif, qui dans le noir ressemblait à une femme de par son allure, coupa ma route et me dit exactement :

"Je veux venir avec toi !
Je répondis ceci :
-Qui es-tu? Qu'est ce que tu fous la?
-J'ai tout vu, la grâce de ton geste qui s'abat sur le crane couvert de cuir de celui qui attendait immobile, la beauté de la nuit dans tes yeux lorsque la fougue les fit briller à travers l'obscurité.
Il avait l'air plutôt inoffensif, armé d'une sorte de hérisson qui grignotait son pardessus antédiluvien. Une pomme sortait de la poche de son pantalon aux larges trous, et ses pieds nus étaient rougis par l'effort. Ce qui me troublait le plus était sa façon de s'exprimer.
-Ouais. Un sale collabo. Kestumveu?
-Je veux venir avec toi !
-J'aime pas la compagnie.
-Je serais discret, j'ai beaucoup appris des animaux.
-Ben, et alors?
-Alors tu ne m'entendras même pas, comme le félin qui guette la proie sous le tas de feuilles.
-T'as l'air plutôt bavard, pourtant. Et je voudrais pas que tu me bondisses au cou dans mon sommeil.
-S'il te plaît.
Je ne sais pas pourquoi, il avait quelque chose de sympathique. Etait-ce le timbre de sa voix ou bien son aura qui dégageait une certaine force dans la fragilité? Je ne sais pas bien ce qui m'a poussé à lui dire ceci :
-Bon. Après tout tu fais partie des témoins, faudrait pas que t'ailles cafeter tout ça à la MiddleGarde. Suis moi, petit homme."
Son sourire était blanc et pur, comme un idiot de lapin.

Nous nous sommes mis en route. Nous n'avions croisé que des arbres cachant parfois des ombres d'animaux. J'apprenais pendant ce temps à connaître Ersatz à travers ses gestes. Il s'émerveillait chaque minute et s'étonnait avec tant de naïveté des miracles de la nature; "les arbres grandissent, la forêt s'épaissit et l'humidité nous tombe dessus comme de grosses gouttes ruisselantes de magie !" qu'il disait. Il m'énervait d'ailleurs à parler autant, mais m'impressionnait par la liberté qu'il semblait incarner. Par quel moyen avait-il appris à parler ainsi, dans une ville où l'éducation ne permet pas de s'exprimer à travers notre subjectivité? En tout cas, il était bien trop vif, à croire qu'il imitait sincèrement un félin depuis le début. Il courait, s'extasiait, courait, et ne semblait ni las ni épuisé. Et ce, jusqu'à ce que le crépuscule tombe et que nous décidions d'établir le camp...

 

Le feu s'éteignit soudainement, soumis à l'inertie du vent. Les braises étaient déjà froides. La nuit déterrait de leur caverne les animaux qui, comme Flaube, venaient crier des vocables, indifférents.
Je ne dormirais pas.
J'attendrais, en regardant l'herbe frémir, comme je frémirais en pensant au danger. Mon rôle de garde ne m'a jamais emmené plus loin qu'ici. Je me souviens de chaque arbre jusqu'à maintenant, et je sais qu'une fois que j'aurais conscience de ne plus connaître, je deviendrais une proie de l'angoisse.
Pourtant, je me sens en sureté ici, à la frontière de ce que j'ai vu et ce que je n'ai pas vu. Je me sens calme, en équilibre sur le visible et l'invisible. Alors? Alors, mes paupières s'écrasent, mes yeux s'enfoncent. Exister me pèse. Et je cède à la fatigue. Une grande lassitude s'amuse de mon corps, alors que le silence se propage dans mes membres. J'ai arrêté de trembler. La cigue s'est attaqué à mon coeur, et je perds conscience. Je ne peux que me laisser faire, m'endormir.

Le lendemain, Ersatz était là, la main occupée à caresser son hérisson, l'autre lui faisant avaler des bouts de sa pomme avariée.
-Hé l'Esthète ! C'est ton compagnon?
-Non. C'est mon petit frère.
-Aha, cet animal lent et ridicule?
-Oui, il s'appelle Raven.
-C'est une blague?
-Bien sur que non, regarde comme il mange son bout de pomme avec ses petites pattes lentes et ridicules !
-Bordel, quelle plaisanterie de mauvais goût.
-Viens ! Je suis sur qu'il ne t'en veut pas. Là.
J'approchais.
-Touche-lui le nez !
Le hérisson se contracta.
-Et bien si, tu l'as vexé.
-Pathétique. C'est qu'une bête. Il s'en fout, autant que je me fous de connaître son nom.
Il y eut un bref silence.
-Allez, reprends tes affaires. On doit encore traverser une bonne partie de la forêt. En allant vers là bas on devrait atteindre la civilisation, j'ai cru y voir de la fumée hier soir.

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Ersatz de la Beauté
  • Pourtant comme Si j’essaie de courir; veux-tu Dans ce jardin où aux frouements rouges, Et aux perdus ballons rouges, S'assemblent les songes froids et ternes, qui Plongent comme Nagent les illusions. La nuit se froisse.
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